Les enquêtes par questionnaire, les entretiens semi-directifs, et l'observation ethnographique ont longtemps été les seules sources d'information pour connaître les espaces de vies des groupes sociaux.
Notre étude, qui s'est donnée pour objectif de cartographier et d'analyser le fonctionnement des espaces de vies des couches supérieures à Delhi, n'a pas fait exception. Prenant comme échantillon les clients de deux centres commerciaux de luxe, nous avons récolté des informations spatiales auprès de 177 individus, mené plusieurs séquences d'observation à des heures et des jours différents de la semaine, et mené 16 entretiens approfondis avec des clients. Les informations recherchées concernaient le quartier de résidence, les lieux de fréquentation et les motivations à fréquenter ces lieux. Malgré l'imprécision des réponses et la faiblesse de l'échantillon, ce type d'étude ethnographique permet au chercheur de se faire une bonne idée du terrain, d'en connaître les spécificités, et de tirer quelques conclusions circonstancielles.
Aujourd'hui, l'avènement des smartphones et le développement des réseaux sociaux permet de récupérer en grande quantité les traces numériques laissées par les usagers, offrant de nouvelles opportunités aux ethnographes. Le réseau social Twitter, par exemple, permet la récupération en temps réel d'un faible pourcentage des messages publics et géolocalisés envoyés depuis sa plate-forme, permettant de connaître les lieux, la date et l'heure où la personne a utilisé ce service.
Pendant plus d'un an et demi, nous avons enregistré des centaines de milliers de tweets localisés dans la région de Delhi pour quelques milliers d'utilisateurs. Ces ordres de grandeur dépassent largement ceux des bases de données classiques, mais l'échantillon Twitter n'est pas représentatif de la population, la majeure partie des messages étant envoyé depuis des quartiers les plus favorisés. Twitter serait donc plutôt utilisé à Delhi par des personnes suffisamment aisées pour posséder à la fois un smartphone, une connexion 3G, et un réseau social avec qui échanger.
En s'appuyant sur notre étude ethnographique, nous avons décidé de combiner et comparer les approches qualitative et quantitative. Nous constatons une surreprésentation des couches supérieures dans l'échantillon d'individus interrogés dans les centres commerciaux par rapport aux données Twitter. Nous estimons que ce biais est dû à la focalisation des entretiens sur les acheteurs et non les promeneurs, et au fait que beaucoup de clients tweetent dans ces lieux sans pour autant être des acheteurs réguliers et conséquents.
Twitter offre des informations précises et plus complètes sur les lieux de fréquentation des utilisateurs. La connaissance du terrain et des pratiques de l'échantillon obtenues via les entretiens permet de mieux interpréter ces données massives et d'affiner les analyses, nous permettant de conclure sur la complémentarité des données Twitter et de l'approche ethnographique.
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